L’air est lourd, torride, malgré l’heure avancée.
Les lumières sont braquées sur le ring, aveuglantes.
La foule s'agglutine autour. Elle crie, beugle les victoires, hue les défaites, chante les louanges de ses préférés.
Et déjà un homme s’avance, grimpe sur la plateforme, gueule sur la foule qui lui rend au centuple. Il est grand, musclé, le derme parsemé de cicatrices, l’air supérieur. Il est l’un des champions de l’arène.
Presque imbattable, redouté, redoutable.
La foule est en liesse, scande son nom, aux limites d’une folie éphémère.
L’adversaire s’avance. Plus petit, plus fin, visage inconnu. Des rires, ça chahute, doute des chances du nouveau venu, mais rien ne l’arrête. Ils n’ont pas encore vu l’éclat dans son regard, celui des victorieux, ceux que rien n’arrête.
La cloche tinte, le combat commence. Pluie de coups et de feintes, les adversaires entrent dans une danse violente, une danse aux éclats de rouges, aux promesses d'ecchymoses.
La foule cesse de chahuter, fascinée.
Leur champion est en difficulté, l’outsider est comme possédé, les coups ont beau l’atteindre, il ne bronche pas. Il n’arrête pas, ne ralentit pas, se noie dans sa violence et son désir de vaincre. Et son sourire est blanc de crocs, dilué à sa lèvre éclatée.
Lentement, les spectateurs infidèles ne scandent plus le même nom. Loyauté au tapis, ils n’ont d’intérêt que pour les gagnants, que pour ceux qui s’élèvent au-dessus des autres.
Le champion défait s’écroule au sol, ne se relève pas. La foule est en délire, clameurs qui résonnent autour du ring, qui intronise son nouveau champion dont le sang goutte sur le sol, telle une offrande.
Deux hommes se tiennent en retrait, n’ont rien manqué de la scène. Le premier tire sur une cigarette, suit du regard un des bookmakers affairés, puis sourit en coin.
“ Il nous le faut, celui-là.”
“Je m’en occupe.”
Son regard revient sur son interlocuteur qui a déjà tourné les talons, s’éloigne, fort de sa mission. Sur ses épaules, un cuir. Et parant son dos, un crest. Crâne, corbeau menaçant et lettrage stylisé.
Reaper’s Crows
C’est leur San Diego.
description hors jeu
San Diego, 2021, un million et demi d'âmes calées entre l’océan Pacifique et la frontière mexicaine, voisine câline de Tijuana. La ville brille de mille feux, se reflète dans l’océan, en un spectacle imprenable. Plaque tournante de l’économie via son port profond et sa flotte conséquente, lieu touristique prisé grâce à de nombreuses attractions et évènements, foyer d’une base militaire d’envergure, rien ne viendrait entacher son économie florissante.
Et qui dit économie florissante dit également parasites tenaces bien décidés à se tailler la part du lion.
Voilà une cinquantaine d’années que les
Reaper’s Crows ont fait craquer leur coquille pour mieux becqueter les restants, puis grandir, prendre de l’expérience, ruser et parvenir à enfoncer des serres plus aiguisées que quiconque aurait pu l’imaginer dans l'échiquier de San Diego. Cuir aux épaules, le
Club et les frères gravés dans l’âme et le cœur, la liberté aux lèvres, ils arpentent la ville, font gronder le moteur de leurs motos. On les remarque, on les connaît, qu'on les ait déjà croisées ou non, San Diego est leur ville, le territoire sur lequel ils veillent. Corbeaux de malheur, corbeaux salvateurs, aimés comme détestés, ils ont commencé petits, mais aujourd’hui, leur ombre cache le soleil.
Et ils font vibrer l’underground, créant un engouement sans pareil dans le milieu via les
combats illégaux qu’ils organisent. C’est aujourd’hui un coquet business, voir une véritable institution dont ils prennent soin, huilant sans hésiter les pattes qu’il faut pour s’assurer un minimum de paix. L’appât du gain en attire plus d’un, si bien que de nombreux challengers se présentent à ces combats dans l’espoir d’empocher le pactole. Il y a de tout, les
protégés des Crows, ceux de divers
petits gangs attirés par la couleur de l’argent, et même des
civils en quête d'échappatoire, voire de damnation.
San Diego s’est gangrené au fil du temps, ses enfants éparpillés dans une toile chamarrée entre respectabilité et criminalité. Les forces de l’ordre pataugent dans une fange que les Reaper’s Crows leur versent généreusement sur la tête. Alors que les motards se tiennent les poignets loin des menottes, une partie de la population gronde d’une colère sourde. Des âmes perdues entre les filets sanglants du ring, celles qui se sont évadées dans les vices de l’Underground, celles que les
paris ont affamées, mises à la rue. Les histoires tristes, cruelles, glaçantes, elles existent, nourrissent la rancœur et le désespoir, font naître des
justiciers avides de précipiter la chute des bikers et de leur empire. Motivations variées, objectifs communs, organisations disparates, des plus pacifiques aux plus extrémistes, ils sont là, cherchant à récupérer le San Diego qu’ils ont perdu.